Passionné jusqu’au cou
J’en ressors froissée, mouillée, empestée, sourde. Pourtant, je sors assez rarement de cette pile, coincée entre deux bouts de tissus au bon parfum de lessive à la lavande. Quand vient mon heure, souvent vers 19 heures, à deux heures du rendez-vous, je l’entends arriver. Mon meuble tremble et l’harmonie de ses pieds lourds dans les escaliers me donnent le premier rythme de la soirée. Il ouvre la porte de sa chambre, et sait déjà où me trouver. Je suis maintenant prête à l’accompagner, fièrement attachée à son cou, me balançant sur le tempo de ses pas guidés par le froid glacial et le courant d’air des immeubles parisiens. Regardez, nous y sommes ! Il inspire, expire, une minute s’impose pour contempler les courbes grises et la couronne rouge et bleu. Il entre enfin dans son parc, comme un prince.
Chantons tous en chœur
Le temps s’arrête alors que tout s’accélère. Il monte les marches deux par deux, s’arrête en haut de l’escalier et admire les fresques décoratives sur les murs des coursives du stade. Il repart et ignore l’odeur des hot-dogs et des bières vendues dans les coursives pour retrouver notre place, toujours la même. C’est lui, ce siège rouge, dans l’allée 11 en plein milieu de la tribune, encore marqué de la semaine dernière. Il serre les mains de ses cinq amis à la voix déjà cassée, qu’il retrouve toutes les semaines, et se tourne enfin vers ce grand rectangle vert. D’un coup, une musique me fait sursauter. La musique du début de la fête comme j’aime l’appeler. Devant nous, un homme. Un homme torse-nu, debout, plus haut que tout le monde. Il tient dans ses mains deux baguettes en bois, usées, prêtes à fracasser le tambour au niveau de son bassin. Une seconde en suspens, où je sens les derniers battements de son cœur avant 90 minutes.

Le premier boum retentit. « ALLEZ PARIS », « ALLEZ PARIS », « ALLEZ PARIS ». Les onze joueurs au maillot bleu sont sur le terrain. C'est le Paris Saint-Germain qui engage le début du match. « ALLEZ PARIS », « ALLEZ PARIS », « ALLEZ PARIS ». La vision gênée, derrière ce grand drapeau inscrit d’un grand « Virage Auteuil » au feutre noir, on ne distingue pas bien ceux que nous sommes venus encourager. Peu importe, notre but est de se casser la voix. « ALLEZ PARIS », « ALLEZ PARIS », « ALLEZ PARIS ». Très vite, la première odeur de soufre nous étouffe. À notre gauche, la vive couleur rouge des fumigènes qui nous éblouit accompagne nos chants. « ALLEZ PARIS », « ALLEZ PARIS », « ALLEZ PARIS ». Collé à ses amis, bras dessus, bras dessous, et par le clap de ses mais sur le rythme des paroles, son corps se réchauffe. Les premières gouttes de transpiration commencent à m’hydrater. « ALLEZ PARIS », « ALLEZ PARIS », « ALLEZ PARIS ». La partie est commencée depuis moins de quinze minutes, je n’entends plus rien. D’une voix forte et encourageante, il crie « ALLEZ PARIS », en chœur avec tous les supporters. C’est la seule musique que je vais pouvoir entendre, mais elle me suffit.
De la folie au rêve
Soudainement, l’euphorie s’intensifie. On saute plus haut, on lève nos mains vers le ciel, on crie plus fort, on se tourne vers notre voisin et on lui saute dessus. L’odeur des fumigènes s’étend encore. Sur le terrain, celui que le speaker nomme "Kylian Mbappé", danse devant notre tribune. BUT. C’est aussi mon moment. Il me détache enfin, me prend dans ses mains et me fait tourner la tête. Je tape tout autour de moi, des visages des supporters à mes côtés, aux autres écharpes qui me ressemblent. Surpris d’être maltraitée les premières fois, j’ai vite compris l’importance de me faire secouer au-dessus de sa tête. C’est le cœur léger que nous continuons nos chants jusqu’au coup de sifflet final. VICTOIRE. Dernier moment de partage avec les joueurs qui viennent fêter le succès, avant de quitter notre deuxième maison. Il rentre à la maison, moi dans mon armoire. Laissée parfaitement pliée et rangée, j'ai le temps de me remémorer toutes ces soirées de rêve qu’on vit ensemble. Et je me tiens déjà prête pour la semaine prochaine.